Il n’est plus là où on l’attendait ; ni devant, ni derrière, ni à côté…Il est en-dessous.
Je me rappelle un moment particulièrement fort de ma vie. Je me trouvais dans un hangar à bestiaux au Mexique, aménagé pour accueillir les Indiens coupeurs de canne à sucre et leurs familles durant la saison de la coupe. J’étais partie vivre avec eux quelque chose de leur quotidien. Vrai défi pour l’être que j’étais, encore façonnée de vie confortable et loin de la brutale réalité des plus humbles de cette terre. La première nuit, je m’étais demandé quel sens pouvait bien avoir le fait d’être là. J’avais fini par entendre, un peu désorientée dans ce noir épais de la nuit mexicaine, que le Dieu qui se donnait à voir était le Dieu des abîmes. C’était la première fois que je le rencontrais. J’étais un peu déconcertée par ce Dieu qui semblait ne pas avoir renoncé à accompagner le moindre atome de sa création, fût-elle la plus méprisée, la plus redoutée, la plus perdue au bout du monde. Le surgissement de ce Dieu qui ne déserte aucun des lieux si oubliés des hommes m’avait tellement émue que j’en éprouve encore, en l’évoquant, une sensation quasi physique
Je ne m’étais pas dit à l’époque qu’il s’agissait du Dieu des abîmes, mais aujourd’hui c’est bien ce nom-là que je lui donne. C’est le Dieu des enfers, des lieux marécageux, des zones interdites et des silences de l’épouvante. C’est aussi le Dieu du Samedi saint, celui qui ne se donne plus à voir pour mieux se donner à entendre. Celui qui a disparu de nos écrans radar et de nos GPS. Où est-il donc passé ? Il n’est plus là où on l’attendait ; ni devant, ni derrière, ni à côté…
Il est en-dessous.
Oui, en-dessous comme une pierre de soutènement, mais aussi comme un berceau qui accueille l’enfant, une main qui soutient le bras défaillant de la personne vulnérable.
Le Dieu des abîmes est un Dieu qui ne se voit pas, puisqu’ayant choisi d’être en-dessous il reste caché. Ce Dieu-là, personne ne me l’avait enseigné, ni au catéchisme ni dans les discours où encore tant de clercs privilégient un Dieu fort et exigeant en attente de notre repentance. Pourtant j’ose témoigner que j’ai vu et entendu que le cœur de Dieu est affecté par toutes les personnes que nous rencontrons. Quand j’ai douté du coeur de l’Humain et du mien en particulier, Dieu n’a jamais douté. Sans cesse il m’a invitée à oser descendre avec lui là où ça fait le plus mal, là où la honte, la culpabilité, le désespoir semblent à jamais devenus pierre. C’est là, au creux du creux que Dieu nous tient dans ses bras, qu’il nous appelle par notre prénom et nous console.
Je suis comme chacun de nous, les mains nues et l’âme vulnérable pour dire, à partir de ma seule expérience, la rencontre avec le plus humain dans l’Homme, Dieu lui-même.
Isabelle Le Bourgeois, religieuse psychanalyste, aumonière de prison
Le Dieu des abîmes À l’écoute des âmes brisées Ed Albin Michel 2020
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Catacombes de Paris |
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