5 novembre 2022

LE CALME MOIS DE NOVEMBRE

 



Un moment pour nous conformer aux leçons des jardins endormis, et cesser toute agitation.

En une nuit, nous avons bondi dans le mois de novembre. D’un seul coup, nous avons quitté le bel été indien et nous voici en automne, en sa lenteur, sa presque immobilité. « Quelle tristesse », m’a dit une amie en remontant du cimetière où, chaque année, nous condamnons les chrysanthèmes à ne fleurir que les tombes. Je comprends qu’elle évoque cette forme subtile de mélancolie qu’on éprouve plus particulièrement à la campagne, quand il n’en finit pas de crachiner et qu’au jardin, ou ce qu’il en reste, les escargots portent le temps sur leur coquille. On aimerait alors écarter le rideau de pluie, avec l’illusion que du bleu resurgirait dans l’interstice. On tourne en rond dans la maison, conscient de la brièveté des jours – les nôtres ? – dans leur lueur de chandelle. On sent les heures nous traverser. On rêve alors à ce que nous proposent les voyagistes : des plages estivales sous des ciels qu’agitent mollement les palmes des cocotiers. Mais est-elle si triste, cette saison qu’on dit « des morts » et qu’on préfère souvent fuir dans les villes, à l’abri factice de leurs éclairages aveuglants ? Et si, plus que triste, novembre était grave ?

Un moment que le calendrier nous réserve pour nous conformer aux leçons des jardins endormis, qui nous enseignent de cesser toute agitation, toute germination, et de préférer le calme et l’enfouissement des projets nerveux aux projections folles et aux déplacements désordonnés ?

Novembre est un mois particulier et, à bien y réfléchir, tout à fait délicieux. En musique, on dirait une pause : un rectangle noir sur la partition pour demander un silence. Temps de repos, d’intimité et d’imploration, novembre nous invite à évoquer ceux qui nous ont précédés et dont le corps est revenu à la poussière, à les rappeler à nous avec la patience d’un arbre et la vaillance d’un chat. C’est que novembre est le grand mois de la communion des saints, de l’entraide et de l’intercession des âmes ensemble, qu’elles soient encore enchâssées dans un corps ou en voyage au purgatoire. Il y a un verbe singulier pour s’adresser à elles, comme elles s’adressent à nous parfois sans même que nous ne le sachions, sauf à rester attentif au mouvement léger d’un rideau, au chant inattendu d’un oiseau à la seconde où la pensée du disparu nous saisit. Ce verbe, c’est la prière avec son pouvoir d’incarner l’Amour. Elle n’affirme ni n’infirme rien. Elle crée – parole de recueillement, de ressaisie de soi comme le jardin en hiver. En oraison, notre pensée trouve son équilibre entre le dépôt que ceux que nous avons aimés ont laissé en nous, toutes ces pures alluvions qui nous constituent et que nous avons à cultiver dans notre vie.


Christiane Rancé, écrivain

www.la-croix.com

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