9 janvier 2019

CROIRE REND-IL JOYEUX ?


Image, Prier janvier 2019

La foi, liberté confiante et accueillante sous le regard de Dieu

Les croyants le savent : leur expérience est provocante et contradictoire. Ils rencontrent aussi bien un retour chaleureux pour la joie dont ils témoignent parfois, que des volées de bois vert pour leurs "gueules d’enterrement". Mais ils savent aussi, de source sûre et profonde, le lien secret qui est entre leur foi et la joie fragile. Un jour, jeunes ou vieux, ils ont éprouvé ce que c’est que le cœur qui déborde, le monde qui s’ouvre, ce chant profond de la vie qui porte à la louange, ce bouleversement, ce moment inattendu, inespéré où l’on  s’entend dire : "Je t’ai appelé par ton nom". (...)
À noter : pour tout homme, pour toute femme, et souvent dans leur enfance même, cette joie n’est pas une inconnue, fussent-ils à des années-lumière de la foi. C’est que cette joie-là jaillit de la confiance. Or, si démunies, si pauvres soient-elles, les existences sont rarement totalement privées de l’expérience de la confiance, même si dans la durée cette confiance est durement attaquée. Même déçue, elle a pu, un jour, exister.  (...) La confiance pas plus que la foi n’est un acquis assuré. Le fait de croire en Dieu n’est pas comme un objet qu’on possède, un contrat qui protège, une assurance sur l’avenir. C’est un élan, un mouvement, celui même de la vie. Ce qui est bien réel et durable, même s’il y a des "rechutes", c’est cet assouplissement dans la foi qui, attentive à la présence secrète de Dieu, relativise nombre de soucis inutiles, invite à ne pas se prendre – soi, ses problèmes, ses fatigues, ses doutes – pour le centre du monde. C’est, sur le cours d’une vie, comme un consentement profond qui invite à voir plus loin, à voir ailleurs, à se détourner de l’obsessionnel qui guette ou d’une morosité de bon ton, pour se tourner vers l’autre, les autres ; c’est dans une liberté confiante et accueillante qui ne cesse de grandir, mais de là à dire qu’on en est tout le temps joyeux, avec l’exubérance que suggère notre époque, il y a de la marge !
Car le croyant est, comme tous les autres, dans un monde qui a ses violences, ses conflits, ses rivalités, ses douleurs de séparation, ses injustices, ses deuils. Croire, ce n’est pas planer. C’est placer ce monde-là, et pas un autre qu’on lui substituerait, dans la lumière et sous le regard de Dieu. Il ne s’agit jamais de s’abstraire ni de se soustraire. C’est l’inverse. Il faut avancer, décider, choisir dans les conditions du réel.
Comme tout le monde, le croyant n’échappe ni au doute, ni à la confusion. Il n’est pas épargné. Il peut lui arriver de se sentir abandonné, de livrer des combats intérieurs épuisants… Pourquoi le cacherait-on ?
Pourquoi faudrait-il faire semblant ? L’épreuve fait partie de la vie mais on n’est jamais croyant "seul", on l’est dans un peuple, au milieu des autres. 
Nous ne saurons nous réjouir vraiment de la Présence si nous ne sommes pas attentifs à nous désencombrer, si nous ne faisons pas place dans nos vies au silence, si nous ne déposons pas nos fardeaux devant le Seigneur. Sinon, comment entendrions-nous les paroles de l’Apocalypse : "Je frappe à ta porte, ouvre-moi, entends-moi." Là est la source de la joie, mystérieuse et rayonnante, à ne pas confondre avec des manifestations bruyantes qui risqueraient d’être vides et sans écho.

Françoise Le Corre, philosophe.
Extrait de l’article  «  Croire rend-il joyeux ? »
janvier 2010


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