On a trop oublié la sagesse de vivre
Dans la chapelle d'un vieux château de Bourgogne, j'effeuille un vieux paroissien rangé là dans un coin, sur un prie-Dieu nimbé de poussière. (...) J'ai connu, enfant, la vieille dame qui marmonnait ses prières avec ce livre noir en le caressant de ses mains fines où affleuraient les veines, comme on caresse sa mémoire, comme on se recueille pour retenir les visages disparus. Elle faisait partie des murs, elle était l'âme d'une maison trop grande qui gardait sa présence telle une ombre fidèle. (...) Elle a fini par partir comme s'éteint la veilleuse au coin du lit, tout simplement, tout discrètement. Elle a filé de nuit par la petite porte, la porte des humbles qui va tout droit au Ciel, et nous sommes restés là au petit matin, un peu plus orphelins.
« On savait souffrir autrefois. On savait pleurer. On avait tant pleuré qu'on n'avait plus de larmes. Alors on finissait par sourire d'un vrai sourire comme un ciel longtemps lavé de pluie resplendit d'une lumière plus pure. »
On a trop oublié la sagesse de vivre. On ne supporte plus de souffrir aujourd'hui, il faut absolument être « bien », comme si c'était un dû à réclamer bruyamment tel un militant qui passe la moitié de sa vie à hurler et l'autre à se plaindre. Misérables êtres sans envergure qui perdent leur existence minuscule à revendiquer des droits plutôt qu'à assumer simplement leurs devoirs...
Elle était d'un autre temps qui avait le courage d'habiter ses douleurs. « Toi qui comptes mes pas vagabonds, recueille en tes outres mes larmes » (Ps 55). Les visages sortent du livre, la vie dévoile ses secrets. (...) Une photo sépia de son mariage. Elle était si belle... Je me suis rendu compte soudain qu'elle avait eu un corps de chair, qu'elle avait éprouvé le désir et le plaisir, la tendresse et la joie, elle qui incarnait pour moi l'élégance des veuves, elle que je n'avais connue qu'à la frontière du Ciel, dont l'esprit affleurait sous la frêle toile de ce qui restait de son corps de femme comme une tente légère que l'on roule pour partir.
Elle avait beaucoup pleuré, beaucoup souri. Elle avait pris le pli des sourires et des larmes, et son visage
était un livre sillonné de rides où tout était inscrit. J'ai pensé à saint Jean-Paul II, aux évangiles ouverts sur son cercueil de bois nu, posé à même le sol. Elle aimait ce grand pape, sa voix puissante qui apaisait ses peurs cachées.
Sur le cercueil, le vent faisait tourner les pages comme on effeuille, jour après jour, le grand mystère de vivre. « Recueille en tes outres mes larmes. Cela n'est-il pas dans ton Livre ? » (Ps 55). Un mot était griffonné à la hâte au coeur des pages, comme on murmure le secret d'une vie : « Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie » (Ps 125).
« Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie » (Ps 125)
P. Luc de Bellescize, Vicaire à Saint-Germain-des-Prés et aumônier de la faculté d'Assas, à Paris.
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