9 juillet 2014

CONVERSION AU SILENCE






Cela s'est passé un matin d'hiver en 2007 sur un chemin menant à un bosquet près du monastère Notre-Dame de Scourmont, à côté de Chimay dans les Ardennes belges. Il faisait frisquet. La lueur embrumée du soleil naissant guidait mes pas. Mon séjour à l'hôtellerie de l'abbaye cistercienne touchait à sa fin.
Alors que je marchais à l'inconnu sur ce sentier, je fus soudain saisi par une violente crise de larmes. J'avais l'impression physique de vider toute l'eau de mes yeux. La stupeur que m'inspiraient ces pleurs incontrôlables se mêlait simultanément à une sensation étrange d'épuration libératrice, d'émondage purificateur. C'était comme si, en s'évadant de moi, des rivières souterraines jusqu'alors insoupçonnées ravalaient tout à coup mon être, essoraient mon âme. "Le silence est une purification"(...) Quand les dernières larmes s'estompèrent, je revins sur mes pas, séché de l'extérieur, mais lessivé de l'intérieur, avec pour seuls témoins les arbres, l'herbe et l'astre d'en haut qui poursuivait son ascension dans le ciel.
Que m'était-il arrivé ce matin-là? Vous étonnerais-je si je vous disais que je ne veux pas le savoir? Je préfère garder vierge et vivace la saveur mystérieuse de ce moment plutôt que de céder à l'instinct de le disséquer comme on le fait d'une grenouille de laboratoire. Je suis souvent las d'entendre l'incommensurable frénésie de beaucoup de mes contemporains à vouloir tout expliquer, montrer et démontrer. Quelle peine perdue! Un mystère ne s'élucide pas, ne se perce pas. C'est plutôt lui qui nous perce et nous transperce...
Du mystère de ce matin d'hiver, j'ose dire maintenant qu'il est celui de l'instant où je me suis converti au Silence. J'ai en effet acquis la certitude d'avoir été en cet instant précis visité à mon insu par une Présence silencieuse. Depuis, elle ne me quitte plus. J'ai une irrépressible envie d'elle, et d'elle seule, pour accueillir la naissance de chaque jour nouveau. 
Cette Présence silencieuse s'intensifie devant la petite icône de la Tendresse devant laquelle j'allume rituellement deux bougies pour lire les textes liturgiques du jour. Ces vingt petites minutes de prière matinale ont transformé ma façon de vivre, d'accueillir la vie et, j'espère, de la répandre autour de moi.
À mon réveil, je me laisse désormais cueillir, recueillir, par le silence de cette Présence secrète et discrète: elle me convie, avant toute chose, à prier en tête-à-tête avec elle pour le salut du monde."

Michel Cool, journaliste catholique,  rédacteur en chef de "La Vie", chroniqueur du Jour du Seigneur sur France2
in "Conversion au Silence" 

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