« J’aimerais que quelqu’un dise ce jour-là [lors de sa propre oraison funèbre] que Martin Luther King Jr. a essayé d’aimer quelqu’un. »
La formule du pasteur, improvisée, a quelque chose d’humble et de maladroit. Elle exprime en cela l’effort d’aimer.
À bien entendre cette formule, aimer est un effort, et non pas une simple effusion du cœur. C’est en outre un effort dont le fruit reste incertain. Le mot « aimer » hésite lui-même, puisque son radical indo-européen, selon qu’il s’agit de « em » ou de « am », l’associe tour à tour à la prise, voire à la capture, et au mot « maman », figure de l’accueil. Aimer, c’est tout à la fois prendre et se déprendre. C’est essayer, sans rien pouvoir forcer. C’est, comme une mère, faire un creux de ses bras tout en renonçant à y retenir quiconque. C’est ne pas savoir exactement ce que l’on fait.
Or cela n’est pas sans rappeler l’étonnement qui s’empare des justes auxquels le roi promet le salut pour le bien qu’ils lui ont fait : « Quand donc t’avons-nous nourri, vêtu ou visité, toi que nous ne connaissons pas, que nous n’avons jamais vu ? » (Matthieu 25, 37-39). Le bien que nous faisons par amour, nous ne le « faisons » pas. Il n’est pas une œuvre que nous tenons sous la main, tel le gâteau dont on avoue fièrement que « c’est moi qui l’ai fait ». L’amour étant une qualité de présence et d’attention, nul ne peut le capitaliser. Si bien que, quand, par fatigue ou par habitude, il nous arrive de ne plus aimer, nous ne savons plus très bien si nous en avons été un jour capables. Comme Martin, nous l’espérons. Nous souhaitons que quelqu’un aura reçu cet étrange bien qui, ne pouvant être que donné, ne nous a jamais appartenu.
Martin Steffens, philosophe
Prier, novembre 2021

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