Les choses qui durent sont discrètes. C‘est à elles que le Christ nous renvoie.
Il existe un Royaume. Un enseignement frelaté nous a laissé entendre qu’il désignait l’après.
Le Christ, fils de l’Éternel et de chronos, ne cesse de nous dire qu’il désigne un maintenant. Et l’on peut, je le crois, y entrer par la petite porte de l’ordinaire.
L’extra-ordinaire n’est pas gage de solidité. Il a quelque chose de foudroyant qui le rend difficile à assimiler, et c’est parfois dans ses coulisses que s’épaissit la vie, incognito. Les choses qui durent sont discrètes, et peut-être durent-elles de ne pas être lessivées par trop de commentaires et de regards.
C’est à elles que le Christ nous renvoie, en plein cœur de nos vies où le Royaume affleure. Il nous parle d’un temps que les non-paysans ne peuvent pas connaître, si ce n’est par ce que nous appelons la prière. Prier et cultiver nous décollent de la tyrannie de la chronologie.
C’est, paradoxalement, la clé pour accepter de n’avoir pas de prise sur le temps.
On prie comme on tamise : à la recherche de l’or du Royaume dans le remblai du temps. Le paysan, lui, s’arrime à l’Éternel par la fidélité du cycle des saisons.
Il sait que les urbains qui se plaignent de l’hiver négligent toute la vie utérine de la terre où, sous la surface gelée, toutes les promesses du printemps sont en gestation. Il sait que cela n’a pas de fin, se répète infiniment, et c’est ce geste de l’infini qu’il imite quand il sème.
Le monde d’avant, le monde d’après, cela doit le faire un peu sourire, le paysan. Il y a un seul monde, un monde de tout temps et de chaque saison, tout y est continuité et flux, on ne le sépare pas à la hache de l’histoire.
Il doit sourire lorsqu’il entend parler de souveraineté : c’est de cela qu’il se nourrit et qu’il voudrait donner au monde, tout comme celui qui prie pour discerner en sa vie et en ce monde le bon grain de l’ivraie. Et tout cela requiert un peu de lenteur, le renoncement au spectaculaire.
À présent que nous sortons de l’extra-ordinaire et que le temps reprend ses droits, saurons-nous réserver à l’ordinaire la lenteur dont il a besoin pour nous révéler ce que le Christ appelle notre fortune imprenable ?
« Amassez-vous plutôt une fortune dans le ciel, là où les mites, la rouille (et les virus) ne peuvent rien faire, où les voleurs ne peuvent ni saccager ni piller. Car le lieu de ta fortune sera aussi le lieu de ton cœur. » Je ne crois pas qu’il parle ici de salut pour après ; je crois qu’il parle de vie, pour maintenant.
Marion Muller-Colard, écrivaine et théologienne protestante
Extrait du billet « La petite porte de l’ordinaire »
seaphim-marc-elie.fr
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