Le sens du tragique et le sens de la merveille
On n’est pas ébloui ou ivre d’admiration, dans un état un peu fusionnel, mais quand même surpris par cet inattendu qui était en attente et que l’on vit. S’émerveiller dans ce sens-là, c’est recevoir des informations nouvelles, se faire miroir d’une nouveauté inespérée. Il me semble qu’aujourd’hui, nous sommes entrés dans cette dynamique de l’émerveillement. On n’avait pas prévu qu’on serait coincé chez soi pendant deux mois : on est déplacé. On fait contre mauvaise fortune bon cœur : on s’adapte. Et à cette occasion, il se passe des trucs étonnants, une capacité, non seulement à vivre une situation imprévue et pas très agréable, mais à en tirer un bien insoupçonné. Je ne me voile pas la face. Je suis lucide. Mais cette lucidité me rend plus fort, davantage enraciné en Dieu.
L’optimiste est dans le calcul. Il gomme le mal en faisant du mal un moindre mal. Il nie son existence en maximisant le bien. Donc non, je ne suis pas optimiste ! Les choses vont mal et sont graves, et il est hors de question de minimiser le mal et sa gravité. Le Covid-19 provoque ainsi des horreurs – je pense notamment aux malades qui sont morts seuls, aux isolés, aux femmes et aux enfants battus, etc. Je ne me voile pas la face. Je suis lucide. J’ai à la fois le sens du tragique et le sens de la merveille. Et j’éprouve les deux en même temps car certes, nous en bavons, mais une force intérieure, étonnante, nous donne de continuer de vivre. C’est cela, l’émerveillement : avoir mal à la vie qui a mal et l’aimer d’autant plus. Certains me demandent : « A-t-on le droit d’être heureux dans un monde malheureux ? »
L’émerveillement n’est pas un regard naïf et innocent posé sur l’existence mais une capacité à surmonter le malheur.
Bertrand Vergely, philosophe et théologien orthodoxe
« A-t-on le droit d’être heureux dans un monde malheureux ? » (extrait)
La Vie, 14 mai 2020
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