« Rosaire » de Francis Jammes
« Je Vous salue, Marie »
« Je Vous salue, Marie »
« Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
tandis que des enfants s’amusent au parterre
et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment
son aile tout à coup s’ensanglante et descend,
par la soif et la faim et le délire ardent,
je Vous salue, Marie.
Par les gosses battus,
par l’ivrogne qui rentre,
par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre
et par l’humiliation de l’innocent châtié,
par la vierge vendue qu’on a déshabillée,
par le fils dont la mère a été insultée,
je Vous salue, Marie.
Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids s’écrie : « Mon Dieu ! »,
par le malheureux dont les bras ne purent s’appuyer sur une amour humaine
comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène,
par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne,
je Vous salue, Marie.
Par les quatre horizons qui crucifient le monde,
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
par ceux qui sont sans pieds,
par ceux qui sont sans mains,
par le malade que l’on opère et qui geint
et par le juste mis au rang des assassins,
je Vous salue, Marie.
Par la mère apprenant que son fils est guéri,
par l’oiseau rappelant l’oiseau tombé du nid,
par l’herbe qui a soif et recueille l’ondée,
par le baiser perdu
par l’amour redonné
et par le mendiant retrouvant sa monnaie,
je Vous salue, Marie.
Amen. »
Francis Jammes (1868-1938)
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(...) Laisser sa chance, pour une fois, à la caresse de la tendresse du divin en ce Vendredi Saint dans Notre-Dame de Paris vide, sous ce qui reste de la voute crevée de la cathédrale que nous pleurons encore. Il incombait bien sûr, à la figure de Marie consolatrice d’opérer ce miracle d’émotion et de tendresse maternelle. La soignante universelle, la mère de toutes les mères, l’inlassable pourvoyeuse d’espérance, cette « géniale » invention catholique a fait tout son office à cette occasion par les mots du poète Francis Jammes dans « Rosaire » Extase d’un instant consacré à l’éternité de la beauté et à la louange, par la prière, de la femme absolue dont l’amertume face à la mort de son fils ne s’est jamais tournée en désir de vengeance ou en représailles batailleuses.
Bruno Frappat, journaliste, essayiste
« 11 mai, cap de bon espoir « (extrait)
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