1 novembre 2019

GEORGES BERNANOS: LES PRÉDESTINÉS






Libres et capables d’aimer

Il y a en ce moment, dans le monde, au fond de quelque église perdue, ou même dans une maison quelconque, ou encore au tournant d’un chemin désert, tel pauvre homme qui joint les mains et du fond de sa misère, sans bien savoir ce qu’il dit, ou sans rien dire, remercie le bon Dieu de l’avoir fait libre, de l’avoir fait capable d’aimer...
Ceux qui ont tant de mal à comprendre notre foi sont ceux qui se font une idée trop imparfaite de l’éminente dignité de l’homme dans la création, qui ne le mettent pas à sa place dans la création, à la place où Dieu l’a élevé afin de pouvoir y descendre.
Nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, parce que nous sommes capables d’aimer.
Les saints ont le génie de l’amour. Oh! remarquez-le, il n’en est pas de ce génie-là comme de celui de l’artiste, par exemple, qui est le privilège d’un très petit nombre.
Il serait plus exact de dire que le saint est l’homme qui sait trouver en lui, faire jaillir des profondeurs de son être, l’eau dont le Christ parlait à la Samaritaine : « Ceux qui en boivent n’ont jamais soif... »
Elle est là en chacun de nous, la citerne profonde ouverte sous le ciel. Sans doute, la surface en est encombrée de débris, de branches brisées, de feuilles mortes, d’où monte une odeur de mort.
Sur elle brille une sorte de lumière froide et dure, qui est celle de l’intelligence raisonneuse.
Mais au-dessous de cette couche malsaine, l’eau est tout de suite si limpide et si pure!
Encore un peu plus profond, et l’âme se retrouve dans son élément natal, infiniment plus pur que l’eau la plus pure, cette lumière incréée qui baigne la création tout entière - en Lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes - in ipso vita erat et vita erat lux hominum.
La foi que quelques-uns d’entre vous se plaignent de ne pas connaître, elle est en eux, elle remplit leur vie intérieure, elle est cette vie intérieure même par quoi tout homme, riche ou pauvre, ignorant ou savant, peut prendre contact avec le divin, c’est-à-dire avec l’amour universel, dont la création tout entière n’est que le jaillissement inépuisable.
Cette vie intérieure contre laquelle conspire notre civilisation inhumaine avec son activité délirante, son furieux besoin de distraction et cette abominable dissipation d’énergies spirituelles dégradées, par quoi s’écoule la substance même de l’humanité.
Au commencement je vous disais que le scandale de la création n’était pas la souffrance mais la liberté. J’aurais pu aussi bien dire l’Amour.

 »Les saints ne sont pas des surhommes »
Georges Bernanos, Les prédestinés

seraphim-marc-elie.fr

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