La miséricorde «dépasse» la justice, la surpasse, la transcende comme une empreinte de Dieu même : elle est son acte propre, ce dont il nous comble, nous qui ne pouvons par nos propres forces nous tenir en justesse devant lui et devant les autres. Il y a en nous du non-juste et de l’injuste : là sont nos failles, là est le péché qui nous referme sur nous.
La miséricorde, facette et couleur de l’amour de Dieu, manifeste le salut qu’Il offre à mains pleines. En témoignent les manières d’agir du Christ Jésus envers ses amis et non moins ses ennemis. Si émouvantes sont les paraboles qui en dévoilent le sens : la brebis égarée que le berger recherche en délaissant son troupeau, la pièce égarée que la femme met toute son énergie à retrouver, et l’accueil sans condition du Père envers le fils perdu et repenti (cf. Luc 15)…
Dieu nous a fait grâce à nous qui sommes injustes envers Lui et envers ceux dont nous ne voulons pas pour frères. Toutefois, vouloir se tenir en alliance face à ce don renouvelé de la miséricorde nous pousse au dépassement de nos limites.
Puisque Dieu s’est fait miséricorde à notre égard, comment faire autrement envers les autres ? Ce n’est hélas pas automatique, et en dépit du pardon reçu, nous pouvons rester incroyablement insensibles à l’appel de nos frères.
Il nous faut alors nous recentrer sur ce qui est en notre pouvoir d’hommes vivant en société : en revenir à la justice. Celle-ci nous offre des cadres d’action personnels et collectifs que nous avons en partage avec tout homme, croyants de diverses religions, ou humanistes. Le dépassement de nos intérêts propres inscrit dans l’indignation de l’injustice et l’option pour la justice nous fait considérer tout homme comme porteur d’humanité et digne d’attention, dans une fraternité universelle.
Ce souci de l’autre, que la philosophie contemporaine nomme «l’éthique du care», naît d’un soin volontaire, institutionnel, passionné mais délié des émotions – afin de n’agir pas uniquement pour celui qui me plaît, que je connais, mon proche, mais aussi pour celui qui m’est inconnu, et qui devient mon prochain.
Vivant de la miséricorde, il nous est demandé de l’offrir, mais jamais au détriment du travail pour la justice : celle-ci est exigible, due à l’autre en humanité, ce à quoi je ne peux me dérober sans devenir inhumain.
Pour nous chrétiens, elle devient le lieu éminent du service (diaconie) de la communauté humaine sur son chemin d’humanisation. La miséricorde, quant à elle, reste le signe gracieux de la vivante présence de Dieu qui dépasse l’obligatoire, le dû sans nous en dispenser.
Mireille Hugonnard, Soeur de l’institut Saint Joseph, théologienne moraliste, Université catholique de Lyon.
croire.la-croix.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire