26 septembre 2017

L' "INJUSTICE" DE DIEU


Photo de couverture de "Prier", octobre 2017

Nous avons à réviser toute une théologie du mérite qui voulait nous faire croire que le don de Dieu se mesure à notre valeur. Certes, quelques textes bibliques, isolés de l'ensemble, pourraient nous laisser croire cela. En réalité, le don de Dieu se mesure à l'amour, venant de lui, que nous laissons passer à travers nous pour atteindre les autres : c'est nous qui fixons la mesure (Luc 6,38, par exemple). Du côté de Dieu, si l'on peut dire, le don est total ; il nous donne tout ce que nous sommes, ou plutôt tout ce que nous acceptons d'être, et tout ce qu'il est. En lui, le don est total, sans mesure. (...) Dieu ne nous doit rien et il nous donne tout. Il y a donc, au départ de notre être, un amour sans raison. Non raisonnable. C'est bien pour cela que Jésus nous dit qu'il n'est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs. Pour qu'ils se convertissent, dira-t-il. Oui, mais ici, se convertir consiste avant tout à croire au don qui nous est fait. S'il y a conversion morale, elle vient après, à titre de conséquence de notre confiance en l'amour qui vient nous assumer. Il y a donc à la source de chacun de nous quelque chose, quelqu'un, d'inexplicable. Risquons le mot : d'injustifiable. Je suis incapable de dire pourquoi je suis là, moi. Je sais le comment mais le pourquoi ne se trouve nulle part en ce monde. Nous sommes gratuitement. Nous ne pouvons justifier notre présence.
(...)
De quoi Jésus nous parle-t-il? du Royaume des cieux, c'est-à-dire de la logique de nos rapports avec lui. Et là nous retrouvons l'injustifiable : la justice de Dieu n'est pas notre justice, sa logique n'est pas notre logique, nous qui estimons, même si nous ne le faisons pas toujours, que chacun doit recevoir selon son dû. Ses chemins ne sont pas nos chemins. Sa justice n'est pas justicière, elle est justifiante : elle rend juste celui qui ne l'était pas. Celui qui est le juste par excellence ne jette pas sur le coupable la pierre du châtiment. Bien plus, les ouvriers de la dernière heure sont les premiers à recevoir un salaire qu'ils n'ont pas gagné. C'est là où l'absence de mérite abonde que l'amour, totalement gratuit, surabonde, comme le dit en substance Romains 5,20. Dieu est injuste par excès d'amour : la justice n'est pas insatisfaite mais surclassée. Et les premiers doivent se réjouir de passer après les derniers car, en l'acceptant, ils adoptent l'amour dont Dieu les aime, cet amour injustifié, premier car il est lui-même sa propre cause. C'est pourquoi le Christ, lui qui est le premier, parfaite image du Dieu invisible, est venu prendre la dernière place. C'est pourquoi le Seigneur s'est fait le serviteur. Et pourquoi les ouvriers de la première heure ne reçoivent-ils pas davantage ? Parce que ce que Dieu donne, c'est lui-même, au-delà de tout salaire.

Père Marcel Domergue, jésuite

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Ces réflexions nous conduisent à reconnaître qu'il n'y a rien de "profane" dans nos vies. Il n'y a pas d'un côté le "matériel" et d'un autre côté le "spirituel". Dieu est en toute chose et en toute activité. Pas d'absence de Dieu ! Aussitôt, il nous vient à l'esprit que notre monde est plein d'injustices, de violences, de malheurs. Dieu est-il présent et actif en tout ce négatif ?? Oui, mais pas en tant que cause, si l'on peut dire. En tant que victime. Il est celui que sans cesse nous crucifions en écrasant d'autres hommes, en les asservissant, en les exploitant, en les jugeant. Dieu est blessé chaque fois que l'on blesse l'homme. Il a voulu, dans le Christ, épouser le sort de nos victimes. Mais c'est pour renaître à une vie nouvelle dans laquelle nous sommes intégrés. Tous, coupables ou non, oisifs ou laborieux, nous recevrons la "pièce d'argent" qui ne représente pas une quantité mais la plénitude. (...) Plus question de salaire, mais en toute chose les premiers seront les derniers et inversement. Comprenons que la priorité est donnée aux non-ayant droit. Les récits bibliques sont pleins d'exemples de ce choix du petit dernier. (...) Le droit s'érige là ou règne le non-droit. Voilà qui peut nous réconforter quand nous prenons conscience de nos insuffisances. Concluons : cette gratuité du don de Dieu, loin de nous installer dans nos médiocrités, nous invite à imiter Dieu dans nos relations avec les autres.

Père Marcel Domergue, jésuite.

croire.com 

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