20 novembre 2016

LE SENS DE LA SOUFFRANCE 2ème partie


Saint Vincent de Paul, fondateur

L’un des grands défis de toute vie en société est l’attitude à l’égard de la souffrance des autres.
Il y a tout d’abord mille et une façon par lesquelles je peux provoquer la souffrance de l’autre :  je puis frapper l’autre physiquement et le blesser ou même l’handicaper.  Mais je puis le faire souffrir aussi, psychologiquement, par la haine ou le mépris, en le ridiculisant, en l’asservissant, en l’utilisant de mille et une façon. Je puis ruiner son nom par de fausses accusations.  Je puis ruiner sa carrière professionnelle, ou mettre en danger sa vie familiale par des rumeurs fondées ou non.  Le « sens » -- si l’on peut parler de sens – de souffrances ainsi provoquées s’exprime par des mots tels que jalousie, dépit, vengeance.  En général je serai porté à faire souffrir l’autre dans la mesure où je n’aurai pas su vivre positivement et assumer mes propres souffrances, en particulier celles venant de mes échecs.  Évidemment, si je n’ai pas digéré un échec et ne l’ai pas utilisé pour grandir en maturité, je ne pourrai pas supporter qu’un autre réussisse là où j’ai échoué.  Ces souffrances ainsi causées sont la négation du sens chez celui qui les provoque ; mais le paradoxe est qu’elles peuvent acquérir tout leur sens chez celui qui les vit, s’il sait les assumer et les transformer en semences de vie nouvelle.  Si quelqu’un me fait délibérément souffrir, il a un problème – c’est son problème.  La façon dont je vis cette souffrance – me laissant détruire par elle ou l’utilisant pour grandir – est mon problème.
Par ailleurs, comment se situer par rapport à la souffrance – physique, morale, spirituelle ou affective – de l’autre, dont je suis le témoin (...). Finalement, personne ne peut accompagner effectivement quelqu’un sur le sentier de la souffrance, s’il n’est pas réconcilié avec ses propres souffrances.  S’il a appris à vivre positivement ses propres souffrances et à les utiliser comme tremplins pour croître en maturité humaine, il pourra aider les autres, en général surtout par sa présence silencieuse.  Dans le langage chrétien, nous avons un beau mot pour désigner cet accompagnement.  C’est le mot com-passion, qui signifie souffrir avec.  Cela implique que je souffre de la souffrance de l’autre ;  mais sans fusion avec lui.  Je lui laisse la possession de sa souffrance et je garde ma distance psychologique qui permet qu’il y ait une authentique relation entre lui et moi.  Je souffre vraiment de le voir souffrir mais ma souffrance n’est pas la sienne et la sienne n’est pas la mienne.  Pour ceux d’entre nous qui avons la foi chrétienne, c’est là le sens de la mort du Christ.  Il a accepté la souffrance par compassion, précisément pour nous libérer de la nôtre.  C’est pourquoi rien ne serait plus anti-chrétien qu’un plaisir masochiste trouvé dans la souffrance.
Je me permets de revenir sur la question de la souffrance collective et sur l’attitude à son égard.  Que de souffrance il y a de nos jours sur la planète.  Probablement plus que jamais auparavant.  En tout cas, elle nous est plus connue et mise constamment sous nos yeux par les médias.  (...) Tout cet abîme de souffrances n’a pas de sens.  Elles sont l’incarnation du non-être et donc la négation du sens.  Nous sommes donc tous appelés à faire tout ce que nous pouvons, chacun avec les moyens limités dont nous disposons et chacun dans notre propre zone d’influence, à travailler à les supprimer dans la mesure du possible. (...)
Pour moi, aucune souffrance et aucune douleur n’a de sens en elle-même, et donc on doit faire tout ce qui est en notre pouvoir pour en libérer l’humanité dans la mesure du possible.  Par ailleurs, toute souffrance subie peut acquérir un sens chez celui qui l’assume et la vit consciemment.  Elle peut même acquérir une dimension sociale lorsqu’elle est vécue comme compassion à la souffrance de l’autre.  Et pour ceux d’entre nous qui avons la foi chrétienne,  elle est compassion aux souffrances du Fils de Dieu qui s’est fait homme et a assumé nos souffrances pour nous en libérer en nous permettant de les vivre comme tremplin vers une plus grande plénitude de vie et, finalement en nous permettant d’affronter sereinement la dernière naissance, qui est le grand passage sur l’autre rive.

Don Armand VEILLEUX, Père Abbé de l'abbaye Notre-Dame de Chimay
Extrait de la conférence sur la souffrance 21/05/2004 
Comité d’Éthique de l’Hôpital de Chimay BE



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