18 novembre 2016

LE SENS DE LA SOUFFRANCE 1ère partie






Quand j’éprouve de la douleur ou de la souffrance, que celle-ci soit d’origine physique ou psychologique, ou affective ou spirituelle, ce qui souffre ce n’est pas mon corps, ni mon esprit, ni mon coeur, ni ma psyché.  Ce qui souffre c’est moi.  En réalité, ni la douleur ni la souffrance n’existent – ce sont là des abstractions.  Ce qui existe, ce sont des personnes qui souffrent. (...)
Il y a la souffrance individuelle, il y a aussi des souffrances collectives dont la quantité de nos jours est ahurissante :  les souffrances engendrées par les guerres, les agressions, les occupations militaires, les épidémies.  Dans la souffrance d’un peuple en guerre, il y a celle qui provient des privations physiques, mais surtout celle causée par le fait d’être humilié, méprisé, de voir tous ses droits humains les plus élémentaires bafoués.  (...)
Toutes ces souffrances ont-elles un sens ?  Et la réponse ne peut pas être ni un simple oui, ni un simple non. En elle-même la souffrance n’a pas de sens.  Elle est la rupture du sens.  Mais la personne qui souffre peut ou bien se laisser écraser et même détruire par cette souffrance ;  ou bien elle peut s’en servir comme d’un tremplin pour passer à une nouvelle étape de croissante.  Alors la souffrance acquiert un sens.  Le sens que peut avoir la souffrance est celui que nous lui conférons en la vivant de façon libre et adulte.
Il y a des souffrances qui sont inhérentes à l’existence humaine (...). À ces souffrances il nous revient de donner un sens en les vivant de façon positive. Il y a la naissance à la vie humaine, il y a le passage de l’adolescence à l’âge adulte et puis il y a le grand passage à travers la mort.  L’être humain a peur de l’inconnu. (...)   Chacun de ces passages (et beaucoup d’autres en général moins dramatiques tout au long de la vie) font peur parce qu’ils comportent toujours leur dose de souffrance ; et cette souffrance provient du fait que nous ne pouvons pas passer à une étape nouvelle de croissance sans mourir à ce que nous sommes présentement.  Tout comme le grain de blé mis en terre doit mourir pour devenir une tige de blé, ou comme la chenille doit disparaître pour devenir chrysalide et puis papillon, de même il n’y a pas de croissance sans nouvelle naissance et pas de nouvelle naissance sans mort à ce que nous sommes.
Dans le Nouveau Testament, dans l’écrit qu’on appelle la Lettre aux Hébreux il y a une expression que je trouve extrêmement intéressante.  L’auteur parle de ceux « qui passent leur vie dans l’esclavage par peur de la mort ».  À combien d’esclavages ne nous soumettons-nous pas à notre époque, par peur d’affronter notre mortalité !
L’étymologie du mot « souffrance » peut nous aider à comprendre comment la souffrance peut avoir un sens.  Le mot souffrance vient de deux mots latins : le préfixe « sub » qui signifie « en dessous » et le verbe « ferre », qui signifie « porter ».  Le mot implique donc l’image d’un support, comme le châssis d’une voiture, qui supporte tout ce qui se trouve dessus.  La 
souffrance est positive et elle acquiert un sens lorsqu’elle nous porte, qu’elle nous ramène à l’essentiel dans notre vie, lorsqu’on la vit de telle sorte qu’elle nous fasse passer à une nouvelle étape de croissance – physique, psychologique, affective, spirituelle.
À l’opposé, il y a la souffrance tout simplement subie ou niée ou qu’on s’inflige à soi-même dans des mécanismes morbides. Alors, pour la définir, on utilise des mots dont l’étymologie est tout aussi éloquente :  on parle de dépression (latin de et premere – impliquant une pression vers le bas, tout le contraire de sub – ferre), d’affliction (latin ad –fligere impliquant l’idée de soufflet), etc.
La souffrance a-t-elle un sens ?  Oui.  Elle a le sens que nous lui donnons dans notre façon de la vivre.

 (À suivre)

Don Armand VEILLEUX, Père Abbé de l'abbaye Notre-Dame de Chimay BE 
Extrait de la conférence sur la souffrance 21/05/2004
Comité d’Éthique de l’Hôpital de Chimay 

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