3 novembre 2014

LA COULEUR DE TA TENDRESSE



Vitrail de l'église Saint-Roch, Noailhac, Aveyron


Nous attendons la lumière, et ce sont les ténèbres ; la clarté, et nous marchons dans l'obscurité. Nous tâtonnons comme des aveugles le long d'un mur, comme des gens privés d'yeux. […] Le Seigneur l'a vu, et ses yeux n'ont pas supporté qu'il n'y ait plus de justice (cf.Isaïe 59, 1-15).
Il va bien falloir, Seigneur, que tu te fasses à cette idée : nous n’y voyons rien. Nous tâtonnons dans la nuit. Nous tombons comme des ivrognes. Il n’y a pas d’appui.
Plus on voit tout, moins on y voit. Le train du monde est pris d’embardées, et toi Seigneur, qu’est-ce que tu fais ? Où sont les grands hommes qui avaient une vision ? Est-ce que tu pourrais faire un petit effort et nous donner des yeux pour voir, par où aller, et comment vivre ?
C’est vrai. Toi seul, Dieu, vois.
C’est vrai. Si nous voulons voir en réalité le monde tel qu’il va, sans ta miséricorde, nous mourrons de désespoir, ou nous serons transformés en statue de sel, et en cœur de pierre, par cynisme. 
C’est vrai. Les yeux que tu nous a donnés sont là pour rendre beau ce que nous regardons et ceux avec qui nous vivons. Ils ne peuvent pas disséquer le monde et le dévorer sans s’abîmer, et nuire à ceux sur qui ce regard de scalpel se pose. Mais en attendant, on fait quoi ? Certains jours, il n’y a plus qu’à pleurer.

Or, voilà que le miracle s’opère. Les aveugles, s’ils ne voient pas, peuvent pourtant pleurer, et qui sait s’ils ne voient pas, à travers leurs larmes, ce qui échappe aux yeux secs ? Car nos larmes sont toujours tes larmes. Elles nous donnent de voir comme tu aimes.
Tes yeux, Seigneur, n’ont pas supporté qu’il n’y ait plus de justice, et tu as pleuré sur Jérusalem. Lorsque nous pleurons sur ce monde, nos larmes forment un vitrail qui irise la lumière de ta tendresse. Et le monde se recouvre d’une couleur singulière et discrète, inaccessible aux cœurs secs, une couleur de bonté.

Sœur Anne Lécu, dominicaine
Paris
Signe dans la Bible

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