Pour nombre de nos contemporains, le christianisme est la "religion" du refoulement.
Commençons par préciser le sens du mot «refoulement». Refouler, c'est refuser l'accès à sa conscience de désirs que l'on a mais que l'on ne veut pas ou que l'on ne peut pas satisfaire. On essaie donc de les écarter. La psychanalyse nous dit que c'est un processus inconscient, un phénomène de défense contre des pulsions sexuelles ou agressives. On s'interdit de. Le refoulement n'est pas spécialement chrétien, il fait partie de l'équilibre de la psyché. Refouler le désir de tuer son père et de coucher avec sa mère, c'est plutôt sain, c'est ce qui nous constitue comme des êtres humains. Est-ce que le christianisme est plus particulièrement porteur de sens interdits? L'opinion commune répond que oui. Elle dit même que c'est le judéo-christianisme qui est responsable du formidable refoulement de l'amour de la vie en général et de la sexualité en particulier. La jouissance, pour le christianisme, serait mauvaise, contrairement à d'autres religions de la joie comme l'hindouisme ou les religions païennes.
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Cela aide à comprendre l'explosion libertaire qui s'est produite en 1968 un peu partout. Mais je crois que les choses sont un peu plus compliquées. On rend le judéo-christianisme responsable parce qu'il imprègne tellement notre civilisation qu'il est très difficile, voire même impossible, de faire la part dans l'histoire de notre culture, de nos mentalités, de notre comportement, de ce qui relève du message chrétien et de la mentalité européenne telle préexiste au christianisme. Car, je le rappelle, une certaine forme de mépris du corps et de la sexualité est déjà présente dans la culture grecque. Pour les philosophes et les sages grecs, le célibat était supérieur au mariage. L'amour rend bête ou fou. Le sage, le saint païen doit cultiver l'esprit.
Je crois qu'il importe de se laisser éclairer sur le plan psychologique. La psychologie a fait d'immenses progrès. Elle s'est constituée il y a un siècle et demi en dehors de la sphère chrétienne et même contre elle. Mais les psychologues comme les psychiatres et les psychanalystes reconnaissent qu'ils sont bénéficiaires de l'énorme somme d'exploration du cœur qui s'est poursuivie au long des siècles dans la tradition spirituelle et monastique depuis les Pères de l’Église. Le christianisme a engendré des formes de névrose, mais en même temps il a fourni des outils pour ne pas se laisser piéger par des pulsions mortifères. La tradition du discernement spirituel, dès le IIIe siècle avec saint Antoine, est d'une très grande perspicacité et d'une très grande sagesse.
Il faut faire l'effort de se cultiver, et de ne pas se laisser prendre au piège de certains discours, soit carrément sectaires, qui engendrent le mépris du corps et des passions, et provoquent des névroses, soit, dans l'Église elle-même, de certains chrétiens bien inspirés qui en rajoutent sur le refoulement. Cela dit, je crois qu'aujourd'hui, tout le monde se sent un peu dépassé face à la prodigieuse «libération» des mœurs et du discours sur le permis et le défendu. Je suis un peu étonné de constater que les jeunes générations ne sont pas plus éclairées que nous sur le plan de la psychologie. Notre société a peut-être un peu trop vite considéré que tout le monde était éclairé, ce qui n'est pas le cas. Je ne suis pas sûr que les leçons de Françoise Dolto aient traversé les générations.
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Oui, le christianisme peut pousser au refoulement, mais il fournit des outils de discernement et de maîtrise de soi qui permettent de prendre de la distance et de se libérer. Ce n'est pas manquer de foi que d'aller voir un psychothérapeute pour se faire aider à mieux comprendre ce qui en nous nous étonne, nous surprend, nous gêne, nous fait problème et dont on n'ose pas parler à un ami ou à sa famille.
Le christianisme est libérateur, mais il n'est pas porteur de recettes infaillibles pour vous libérer du tabac ou de la drogue. Le christianisme libère de la peur de la mort définitive. Jésus ne vous guérira pas de votre penchant pour l'alcool, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire.
Père Dominique Salin, jésuite, enseignant au Centre Sèvres, dans l'émission Mille questions à la foi, sur Radio Notre-Dame (15-10-2013).
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