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| Portrait by Karinel, Art Window, on line |
Un soir d'hiver, je fus demandé par un homme d'une soixantaine d'années - il n'avait plus qu'une dent - qui s'intitulait "voyageur de commerce". Or ce qu'il représentait , c'était en tout et pour tout un livre religieux ennuyeux comme la pluie, et qu'il vendait très cher. Et, bien entendu, il avait monté je ne sais combien d'escaliers pendant la journée; personne n'avait voulu de son livre. Et c'était le soir, et c'était l'hiver, et il faisait froid, et il était esquinté, et il était surtout découragé. C'était un paysan qui n'entendait rien au commerce, dont la santé était mauvaise, qui n'avait plus la force de labourer sa terre et qui avait tenté sa chance, sa pauvre chance, en présentant ce livre. Je n'avais pas de quoi le lui acheter,mais je sentais qu'en lui l'espérance allait mourir, que Dieu en lui allait mourir. Il fallait d'abord le faire asseoir, l'écouter, lui donner un peu de la chaleur de la maison, retourner mes poches, lui donner ce que j'avais. Avec le peu qu'il avait, cela lui permettrait de passer la nuit sans angoisse et de reprendre le matin sa journée avec une petite espérance. Et je savais qu'il fallait le faire parce que c'était l'espérance de Dieu en lui qui était en train de mourir: c'était Dieu qui était menacé de mort.
Maurice Zundel, 1897-1975
prêtre suisse, théologien, écrivain, conférencier
in Silence - Parole de Vie, éd. Anne Sigier, Québec
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