16 janvier 2018

LOURDES: L’EFFUSION DU PAUVRE






L’effusion du pauvre, c’est cette vérité mystérieuse selon laquelle les pauvres, les personnes fragiles, malades ou celles qui vivent avec un handicap ont dans le  coeur un trésor particulier. Pour ceux qui osent les approcher, en brisant la frontière derrière laquelle notre société les confine, elles deviennent de véritables maîtres de vie. À l’époque, je ne connaissais pas assez l’Évangile pour citer ces mots de Jésus qui m’éclairent beaucoup aujourd’hui: « Père, je te bénis d’avoir révélé aux tout petits ce qui est caché aux sages et aux intelligents. » (Mt 11,26) J’ai découvert que la vérité se révèle dans la vulnérabilité, que nous sommes interdépendants, occupant tantôt la place du prétendu « fort » et tantôt la place du supposé « faible ». Et que la voie du bonheur consiste à nous accueillir les uns les autres avec ces fragilités que nous essayons trop souvent de cacher au lieu d’y consentir. J’ai découvert que tout se joue dans la rencontre, ici et maintenant, si nous laissons le pauvre déverrouiller notre coeur.
Il m’a fallu expérimenter le plus concrètement possible ces « œuvres de miséricorde corporelle » évoquées dans Mt 25, 35. « J’avais faim et vous m’avez donné à manger. J’ét malade et vous m’av visité... ». Donner à boire à celui qui a soif n’est pas un geste si fréquent dans notre société marquée par la peur de l’autre. Pourtant, en allant ainsi vers les personnes fragiles, dépendantes, rejetées, en posant un geste consolateur, tendre, tout simplement humain, je crois qu’on contribue à construire un monde plus beau. Oui, se décentrer, s’oublier un peu, ouvre la porte à la joie de l’Évangile !

Tugdual Derville, fondateur de À Bras Ouverts, oeuvre charitative
Extrait de « J’ai vécu l’effusion du pauvre »
Revue Prier, n°398

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Le plus souvent, on parle du sanctuaire de Lourdes avec ironie. Dans ces cas-là, tout y passe : la crédulité populaire, le commerce des bondieuseries, la « supercherie » des miracles, etc. Ce qui se passe là-bas ne concerne pas uniquement les croyants. En d’autres termes, une lecture agnostique de Lourdes est possible. On peut mettre de côté ce qui concerne la foi proprement dite (affaire de chacun) et repérer en ces lieux un « quelque chose » de bouleversant.
Je pense à cette acceptation du corps souffrant, à ce commerce paisible avec la disgrâce physique, l’infirmité, la maladie, la mort annoncée. Toutes choses que l’époque a littéralement en horreur (elle qui n’exalte que la jeunesse, la beauté, la santé, etc.) se trouvent là rassemblées, acceptées, surmontées et même – parfois – transcendées. La phrase qui court ainsi dans les parages du sanctuaire pourrait être formulée de cette façon : « Vois, je suis moi aussi vulnérable et fragile ! Comme toi ! Comme nous ! » Cette phrase prend à rebours les cruautés ordinaires que propage l’air du temps. L’impression d’apaisement qui règne dans cette enceinte trouve là son origine.
Ce n’est pas tout. Il y a aussi dans les parages de la grotte comme un principe d’oblation (de don volontaire) strictement humain. Je veux dire qu’en dehors même de toute idée de Dieu, de croyance, de foi, la grande scène purement anthropologique dont Lourdes est le théâtre, c’est celle du don réel de chacun à chacun, de la prodigalité de soi préférée à la convoitise, du secours plutôt que de la rivalité, de l’altérité substituée au repliement égotiste, de la gratuité installée, en majesté, à la place du calcul. 
Pour dire les choses d’une manière encore plus simple, le caractère subversif des rassemblements humains comme ceux de Lourdes, c’est qu’ils apportent de façon très concrète, agissante, vivante, renouvelée, un démenti aux idolâtries matérialistes dont les mots d’ordre nous assiègent : sois le plus beau, le meilleur, le plus dur, le plus efficace, le plus riche, etc. On trouve là-bas une sorte de « réconciliation » vivante, une tendre acceptation de chacun par chacun qui vous remuent dans les tréfonds de vous-même.
C’est pour cela qu’à mes yeux même une perception agnostique du « miracle de Lourdes » est légitime. Que l’on ait ou non la foi, cet émoi secret me semble même l’emporter peu à peu sur la goguenardise « finaude » des incroyants de jadis.

Jean-Claude Guillebaud, journaliste, essayiste, écrivain  
Extrait de « L’émoi secret de Lourdes »
lavie.fr 27/02/2017

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