Notre époque a porté à son paroxysme la volonté de savoir, de tout dire. Érigeant la transparence en ardente obligation, permettant finalement à chacun de tout dire jusqu’à parler pour ne rien dire. On sait les ravages que peut entraîner cette prétendue liberté d’expression qui oublie cette vertu fondamentale à toute vie ensemble : le respect de l’autre, de ses croyances, de son imaginaire.
Donc il existe une raison de fond à ne pas vouloir enfermer le vivant et le sociétal dans des catégories dogmatiques et bien sûr statistiques et une raison plus contingente : se situer résolument hors de cette logorrhée prétendument libertaire qui n’est qu’une parole insensée.
(...) Le bavardage incessant des médias ne peut cacher la vacuité de nombre d’expressions devenues pures incantations : « les valeurs républicaines », dont l’homme de la rue serait bien en peine de dire ce qu’elles recouvrent au quotidien, la démocratie dont on ne sait plus si elle est un spectacle de troisième zone ou une sorte de cirque cachant les petites combines des puissants. Mais on pourrait également citer, vous avez raison, cette façon qu’ont nos contemporains de parler par euphémisme, des malvoyants pour désigner les aveugles. Cette perte de sens des mots a des effets ravageurs. Je cite souvent cette phrase de Camus : « Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde »
(...)
Ne serait-il pas salutaire que les hommes politiques trouvent une semaine de silence par an ? Que les journalistes et les commentateurs professionnels se taisent durant un mois ? Cet effort insensé n’aurait-il pas des résultats extraordinaires ?
Je crois que réclamer le silence à ce que je nomme « l’opinion publiée », à tous ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire, c’est d’une certaine manière signer leur arrêt de mort. Mais vous savez, le peuple sait de « savoir incorporé » que : « cause toujours, tu m’intéresses ». Il ne faut pas attribuer trop d’importance à ce flux de paroles parfois vaines, parfois incantatoires, souvent incohérentes. C’est aussi cela le silence, se décentrer, fermer les oreilles aux paroles convenues pour écouter le silence, pour comprendre tout ce qui se dit sans mots.
Michel Maffesoli, sociologue, professeur émérité à la Sorbonne et administrateur du CNRS,
Extraits de l'interview sur "La place du silence dans nos sociétés contemporaines."
aleteia 17/03/2016
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« Le langage que Dieu préfère est l’amour silencieux » – Saint Jean de la Croix
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