Les écrits inachevés |
Je ne crois plus
que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n'ayons d'abord corrigé en nous. Et cela me parait l'unique
leçon de la guerre : de nous avoir appris
à chercher en nous-mêmes et pas ailleurs.
Toutes les
catastrophes procèdent de nous-mêmes. Et pourquoi est-ce la guerre ? Peut-être parce que j’ai parfois tendance à enguirlander mes semblables. Parce que nous n’avons pas assez d’amour en nous, moi-même, mon voisin, tout le monde. Et l’on peut combattre la guerre et toutes ses séquelles en libérant en soi l’amour, chaque jour, à chaque instant, et lui donner une chance de vivre. Et je
crois que je ne pourrai jamais haïr un être humain pour ce que l’on appelle sa "méchanceté", c’est plutôt moi-même que je haïrais – "haïr" est un trop grand mot. On ne saurait être trop relatif dans ce que l’on exige des autres, ni trop absolu
dans les exigences que l’on s’impose à soi-même. Et je crois que c’est aussi la raison pour laquelle je n’ai pas peur à l’époque où nous sommes, parce que tout ce qui arrive m’est, d‘une certaine façon, si proche, et – en dépit des formes monstrueuses que cela prend parfois – si évidemment produit par les hommes et toujours réductible à des phénomènes humains, et de ce fait, il est de nombreux
comportements qui n’ont pour
moi rien d’effrayant, parce que je continue à y voir des productions humaines,
provenant de chaque individu, de moi-même, si bien que tout est compréhensible, et que les comportements ne se muent jamais en
monstruosités incompréhensibles, n’ayant plus aucun lien avec les hommes.
Ah, nous avons
tout cela en nous : Dieu, le ciel, l'enfer, la terre, la vie, la mort et les siècles, tant de siècles. Les circonstances extérieures, forment un décor et une action changeants. Mais nous portons tout en
nous et les circonstances ne jouent jamais un rôle déterminant : il y aura toujours des situations bonnes ou
mauvaises à accepter comme un fait accompli – ce qui n'empêche personne de consacrer sa vie à améliorer les mauvaises. Mais il faut connaître les motifs de la lutte qu'on mène, et commencer par se réformer soi-même, et recommencer chaque jour.
Et si Dieu cesse
de m'aider, ce sera à moi
d'aider Dieu.
Oui, mon Dieu tu
sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de
cette vie. Je ne t'en demande pas compte, c'est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m'apparaît de plus en
plus clairement, presque à chaque pulsation de mon cœur, que tu ne peux pas nous aider, mais que c'est à nous de t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui
t'abrite en nous.
Etty Hillesum, 1914-1943, juive hollandaise décédée à Auschwytz
Écrits (extraits)19/02-12/07/1942
amisdettyhillesum.fr
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