5 mai 2011

L'ESPÉRANCE INVINCIBLE

À 88 ans, le frère Jean-Pierre, seul survivant du monastère de Tibihirine, pense chaque jour à ses frères disparus, mais, récusant la nostalgie, il a choisi l'espérance.
Le dernier moine de Tibhirine témoigne

Nous avons vécu de très belles choses ensemble. Et puis, cette vie en commun pour représenter le Seigneur et l’Église, c’est une très belle vocation. Elle peut aller loin. Le Christ est plus grand que l’Église. Les soufis utilisaient une image pour parler de notre relation avec les musulmans. C’est une échelle à double pente : elle est posée par terre et le sommet touche le ciel. Nous montons d’un côté, eux montent de l’autre côté, selon leur méthode. Plus on est proches de Dieu, plus on est proches les uns des autres. Et réciproquement, plus on est proches les uns des autres, plus on est proche de Dieu. Toute la théologie est là-dedans !


Le film de Xavier Bavois, inspiré de leur sacrifice, peut-il être un ferment de réconciliation entre chrétiens et musulmans ?
Bien sûr ! L’exemple des frères, dans leur relation avec les gens, avec les musulmans, montre que l’on peut devenir de vrais frères, dans la communion, ensemble, en profondeur et pas seulement en surface. En profondeur, devant Dieu. Certains l’ont vécu. Ce n’est pas rare. Quand les chrétiens voient cela, ils se rendent compte que les musulmans sont des gens comme les autres. Certains sont très bons : les valeurs d’accueil, de gentillesse, de serviabilité se voient. Ainsi que les valeurs d’union à Dieu, de prières quotidiennes. Ils ont des relations avec Dieu qui sont parfois très surprenantes et qui sont de véritables exemples pour nous, chrétiens. 
Un ami de Christian, qui a donné sa vie pour lui, lui disait que les chrétiens ne savent pas prier… Ils sont très charitables, ils rendent beaucoup de services, mais on ne les voit jamais prier ! Beaucoup de chrétiens pourraient entendre cela.


Comment interprétez-vous le durcissement actuel de certains musulmans contre les chrétiens, dont les attentats récents ont été un signe?
Cela vient des extrémistes. Les vrais musulmans ont honte de ce qui est arrivé aux frères. Ils disent : ce n’est pas nous cela, ce n’est pas la « religion ». 
D’autre part on ne se connaît pas assez. On se perçoit à travers les violents et cela crée une tendance à se regrouper entre soi, et une peur des contacts. La solution c’est de cultiver l’amitié, même si on peut se faire rouler… Oui, certains disent que la réciproque on ne la voit pas, ou peu : on permet aux musulmans de construire des mosquées chez nous, mais on peut toujours courir pour construire des églises chez eux !


Les chrétiens sont, de fait, souvent accusés de naïveté avec l’islam…   
La question n’est pas là. Par la foi, nous risquons ! C’est dans l’Évangile : « Aimez comme je vous ai aimés.» Alors, on est souvent perdant, il faut le savoir. Mais il arrive que cela réagisse. Alors, la réciprocité est là et une reconnaissance mutuelle peut aller très loin. Il faut espérer que l’amour sera le plus fort. Que l’amour de Dieu aura le dernier mot. Fondée en Dieu, l’espérance doit demeurer. Et ce n’est pas nous qui pouvons résoudre cela. L’espérance invincible, comme disait Christian de Chergé. Elle ne doit pas être vaincue, elle doit toujours rester ouverte, fondée sur Dieu, sur Sa grâce.


Frère Jean-Pierre, survivant de Tibhirine, 
extraits de l'interview du  06.02.2011 
by  "Le Figaro-France", en ligne

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