27 janvier 2018

LA SYMBOLIQUE ROMANE



Abbaye du Thoronet, image CFRT

En 1146, un groupe de moines cisterciens fonde une nouvelle abbaye dans un vallon écarté du Var qui lui a été donné par un seigneur de Castellane. C’est qu’en effet, les cisterciens sont exigeants. Ils recherchent la solitude et le silence, mais aussi de la bonne pierre et du bon bois en abondance pour le chantier, des terres assez fertiles pour la subsistance des moines et de leurs hôtes, de l’eau courante pour le vivier d’une communauté qui ne consomme pas de viande et éventuellement pour un moulin. Ces exigences sont le résultat de la réforme de la règle du nouvel ordre de Cîteaux: silence et ascèse, dépouillement, travail manuel.
Pour les bâtiments aussi, saint Bernard prescrit le dépouillement. Pas de clocher ou, du moins, pas de grand clocher; aussi peu de sculpture que possible; point de peintures. Comme le développement de l’ordre est extrêmement rapide, des maîtres d’œuvre répandent en quelque décennies un modèle simple et efficace, nourri, pour le style, par le roman bourguignon: des proportions franches basées sur le cercle et le carré; une lumière mesurée par des ouvertures soigneusement calculées ; l’usage d’une belle pierre calcaire (autant qu’il est possible) appareillée à joints nus. L’église et les salles demandées par la règle s’organisent autour d’un cloître carré et se prolongent par des annexes. Tout cela est strictement rationnel, de sorte que les abbayes cisterciennes sont littéralement conçues en série : Le Thoronet doit beaucoup à sa mère l’abbaye de Mazan, en Ardèche, et influence à son tour Sénanque ou Sylvacane.
La symbolique romane est ici réduite à l’extrême mais toujours signifiante: du carré (la Terre, l’humanité), l’on passe au cercle et même au globe du cul-de-four du sanctuaire (la perfection sans début ni fin, le Ciel, Dieu), sanctuaire qui est parfaitement orienté à l’est. Le cloître, qui n’est pas carré, n’offre aucune affèterie; son « lavabo », la fontaine couverte requise par la règle, présente les proportions tassées d’une borie de berger provençal, et cependant, l’harmonie de ce cloître saisit tout visiteur. Les sens sont portés à la paix, l’esprit se libère, la voix de Dieu semble toute proche.
L’art sacré est vivant. Le xxe siècle, volontiers idéologue, a voulu faire du Thoronet le modèle de toute église. Sans doute parce qu’il offrait à l’époque du béton et des lignes droites une sorte de miroir médiéval. Et de chanter les murs en pierre apparente et les chœurs nus, de décaper les églises jusqu’au moellon, de reprocher à des ensembles baroques ou néo-gothiques de n’être pas chrétiens. 
Quelles leçons nous donne Le Thoronet? Celle d’une beauté sobre, mais extrêmement réfléchie, beaucoup plus savante qu’il ne semble, et en même temps de bon sens. Celle de l’attention à la réalité sensible, le soleil, le vent, le grain de la pierre. Celle de la poésie née non de quelque inspiration soudaine, mais de la modestie d’un travail lent, à mains nues, dans l’obéissance à des règles et à une pratique établie.
En art sacré, il n’y a pas de perfection. Il y a des réussites qui nous invitent non pas à les reproduire mais à aller, leçon reçue, vers des formes nouvelles. Ce que l’art sacré veut montrer et accompagner à la fois, le mystère de la relation entre l’homme et Dieu, ne cesse de s’approfondir. Librement et sans relâche, de tentative en tentative.

Fr. Yves Combeau, dominicain
lejourduseigneur.org 17/01/2018
« L’abbaye du Thoronet, au-delà de la célébrité « (extrait)

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